Guinée : République de poltrons (par Akilla journaliste). – Base Cote Media

Guinée : République de poltrons (par Akilla journaliste).

Les qualités relationnelles et nécessaires aux gouvernants ne semblent pas si différentes de celles dont doit faire preuve un individu pour mener à bien son existence. Le gouvernant connu prend soin du destin commun, et l’individu, de son destin particulier. Mais toujours, il s’agit bien de mener un navire dans la tempête. Il faut aujourd’hui de la compétence et du discernement, l’expérience de la vie, le sens moral, des convictions qui dirigent les choix. Aucune de ces activités ne saurait obéir à des normes écrites d’avance : il faut comprendre, prévoir, décider, oser. Je dirais que deux qualités sont à l’oeuvre : l’intelligence, qui permet de comprendre la situation et de prévoir autant que possible ; le courage, qui permet de décider et d’oser dire la vérité à son peuple. Dans une Guinée contemporaine, où, l’intelligence est surabondante, c’est le courage qui manque à nos dirigeants. Le courage est une qualité qui ne s’inscrit pas dans la connaissance, mais dans l’acte. Il consiste à se risquer soi-même dans une décision, et ce que l’on risque ici n’est pas la vie, mais une partie de l’existence. sa réputation, l’estime que vous portent les autres, l’image de soi. Il n’y aurait pas de courage si les décisions n’étaient pas souvent aléatoires : on ne dispose jamais de toutes les données permettant de décider sans danger. Le courage consiste à engager sa propre responsabilité dans l’incertitude. La politique réclame du courage parce qu’il faut prendre des décisions, c’est-à-dire poser des actes dont l’issue reste hasardeuse. Notre pays le comprendra certainement.

Qu’entend-on ici par ( risque ) ? Il s’agit de déstabiliser un équilibre toujours fragile, de remettre en cause des habitudes et des opinions. Un saut dans l’inconnu, qui distingue l’audace de l’opiniâtreté, de l’assiduité, lesquelles n’incluent pas la rupture. Le risque suppose que l’on puisse gagner ou perdre, et dans ce dernier cas, perdre jusqu’à l’équilibre précaire dans lequel se love l’existence paisible et confortable abritant et même camouflant ses problèmes pour ne pas s’exposer tout entière. L’acte de courage exige une forte volonté de se rapprocher d’un idéal, de marcher sur la voie d’un accomplissement, lequel est alors considéré comme supérieur à l’état présent des choses. Pourquoi nos dirigeants en Guinée sont-ils si poltrons ? Parce qu’ils sont à la fois trop attachés au confort présent et trop privés de vision d’avenir. Dès lors, ce saut dans l’inconnu perd son sens. Nos dirigeants reflètent leur peuple. Ils ne voient pas à l’horizon une meilleure société à promouvoir. La Guinée est un pays où l’on ne désire que demeurer dans son état, et où l’on croit que chaque changement serait une régression. Pour les guinéens d’aujourd’hui, la meilleure société se trouve dans le passé : à l’époque, réelle ou mythique, de la glorieuse République, où les instituteurs incorruptibles enseignaient la laïcité, et où les jeunes immigrés s’acculturaient pendant leur service fonctionnaire. Quel acte de courage permettrait de s’élancer dans le passé ? Ah ! si cela se pouvait, comme le pays tout entier réclamerait de l’audace à ses dirigeants ! Mais cela n’existe pas. Alors, on se calfeutre dans son confort précaire, en se bouchant les oreilles pour ne pas entendre le chaos qui monte. Un pays de petits-bourgeois vieillissants, assis sur leurs bas de laine, et feignant d’ignorer qu’ils couvent des assignats.

Cette lâcheté se déploie dans une ambiance, des tables rondes à n’en plus finir pour disserter quand il faudrait agir ; des atermoiements et des indignations pour ne pas oser des initiatives,des gestes, des guerres de mouvement. Cette lâcheté engendre des théories : le principe de précaution, au départ réinventé pour marquer la nécessaire prudence, au sens aristotélicien, puis rapidement utilisé pour échapper au risque le plus minime, c’est-à-dire détourné de son sens. Cette lâcheté s’exprime dans un sentiment. la peur omniprésente de tout ; a-t-on remarqué que la Guinée est à présent le pays de la peur ? Peur de la grippe aviaire, de la perte d’emploi, de la précarité, des sectes, de la pollution, de certaines villes, de la mondialisation et de l’indépendance de sa jeunesse, des organismes génétiquement modifiés, et j’en passe.

Notre situation révèle des problèmes cruciaux, qui ont été analysés par des cerveaux très fins, et dans bien des cas chacun d’entre nous sait parfaitement ce qu’il faudrait faire pour répondre aux désastres qui nous minent. Ce qu’il faudrait, ce n’est pas comprendre, car tout le monde a bien compris : c’est oser, et cela, personne n’en est capable. Cette paralysie qui saisit les dirigeants guinéens est le fait de vieilles sociétés aux pensées sophistiquées, dont les pessimistes diraient qu’elles frisent la décadence. Pour dissimuler la honte latente de notre immobilisme, nous transformons la valeur des mots : l’audace apparaît comme une expression du fanatisme, le courageux comme un entêté ou un idiot. Pendant que la technocratie, perversion de la politique, nous persuade de l’inutilité du courage et l’intelligence suffit à gouverner, si la politique se réduit à l’administration. Il m’a toujours semblé que l’intelligence et le courage s’apparient rarement. Un individu très intelligent analyse tout, et souvent n’ose plus trancher, parce que la complexité de l’argent l’effraye et le paralyse. Mais c’est aussi vrai collectivement. Un peuple rustre, auquel manque encore la culture des époques, osera facilement déclarer une guerre ou prendre des mesures draconiennes. Un peuple lissé par le temps et poli par les détours de la pensée, se risquera moins, parce qu’il a vu tant de choses, et parce que la pesanteur de ses questions a stérilisé ses audaces. Imaginons qu’un gouvernant plein de bravoure nous arrive par inadvertance, et qu’il veuille accomplir les réformes de plus en plus drastiques dont nous avons besoin pour tout simplement survivre à l’histoire réelle du pays. Je pense qu’il serait aussitôt considéré comme un mollah, alliant l’idiotie à une hardiesse d’un autre âge. Sa tête serait mise à prix dans les carrefours de Bambéto, Wanindara et Hamdallaye. Et, probablement il ne passerait pas le soleil d’indépendance. Mais cela ne risque pas de se produire. Aujourd’hui, les personnalités audacieuses sont rapidement poussées sous le boisseau, écartées du pouvoir, parce qu’inquiétantes, on a peur de l’audace, aussi, c’est une tautologie. Et lorsqu’un peuple se caractérise par une frousse obsessionnelle, seule une situation tragique peut le rendre courageux. Nous devons attendre, en un mot, que la peur du chaos devance la peur du changement donc, osons dire cette vérité crue a nos gouvernants. C’est la république des poltrons et y’a du pire a s’en prendre aux travaux de sociétés pour notre chère nation.
Plus jamais une république des poltrons !