Birmanie: comment expliquer la prudence d’Aung San Suu Kyi sur les Rohingyas? – Base Cote Media

Birmanie: comment expliquer la prudence d’Aung San Suu Kyi sur les Rohingyas?

L’attitude d’Aung San Suu Kyi est depuis longtemps très ambigüe sur la question des Rohingyas, persécutés en Birmanie. Comment expliquer la prudence quasi coupable de celle qui est désormais de facto la dirigeante du gouvernement ? Eléments de réponse, alors que la « dame de Rangoun » est attaquée de toute part pour sa passivité. Même le dalaï-lama, Nobel de la paix au même titre qu’elle, a fait part de son indignation.

De notre correspondant dans la région,

L’exode des Rohingyas musulmans de l’ouest de la Birmanie vers le Bangladesh se poursuit, atteignant au moins 250 000 réfugiés en trois semaines. Face aux condamnations émanant surtout des pays musulmans, des Nations unies et des organisations de protection des droits de l’homme, Aung San Suu Kyi s’est exprimée pour la première fois ce week-end.

La conseillère spéciale birmane a affirmé que son gouvernement protègerait toutes les personnes vivant sur le sol birman, « y compris ceux qui n’en sont pas citoyens ». Mais la dirigeante birmane tarde à prendre des mesures concrètes pour ces populations.

La première raison est qu’elle n’a pas vraiment les mains libres. L’appareil d’Etat est encore en grande partie contrôlé par les militaires. Ils tiennent les ministères de l’Intérieur, de la Défense et des Frontières ; ce sont justement les ministères qui sont en charge de tout ce qui se passe dans l’Etat d’Arakan, dans l’ouest de la Birmanie.

La situation actuelle dans cette région frontalière du Bangladesh est considérée comme une question de sécurité nationale, et selon la division des tâches entre la dirigeante birmane et les militaires, seuls ces derniers ont leur mot à dire sur ce sujet. D’où l’extrême prudence d’Aung San Suu Kyi et sa réticence à s’exprimer publiquement sur les Rohingyas.

Critiques sur la « dame de Rangoun »

Pourtant, la conseillère spéciale aurait pu en faire beaucoup plus, ne serait-ce qu’en dénonçant clairement les exactions dans l’ouest. C’est d’ailleurs ce que lui reprochent les organisations de protection des droits de l’homme. Elle pourrait utiliser une partie de sa crédibilité politique et de sa popularité pour prendre une position de principe contre les violations des droits dans l’Arakan.

Mais pour elle, cela comporte des risques : d’abord créer des tensions avec les militaires, qui pourraient dès lors s’appuyer sur le ressentiment général des bouddhistes birmans contre les Rohingyas pour l’affaiblir politiquement. Elle risquerait également de se couper de sa base politique.

Dans sa longue lutte pour ramener la démocratie en Birmanie, Aung San Suu Kyi a avant tout été la représentante des Birmans bouddhistes. Les minorités ethniques ne se sentaient pas représentées par elle. En déclarant par exemple que les violations des droits de l’homme dans l’Etat d’Arakan sont des inventions des médias étrangers, elle va dans le sens de ce que pense sa base politique.

Conséquences sur la transition politique

Cette crise a en tout cas des effets très négatifs sur la transition démocratique en Birmanie. D’abord, elle renforce la montée d’un bouddhisme ultra-nationaliste à travers tout le pays. Cet ultra-nationalisme vise en premier lieu les musulmans dans toutes les régions. On commence ainsi à voir des villages qui interdisent l’entrée aux musulmans.

Le boycott économique des musulmans se renforce également, mais même au-delà du clivage bouddhiste-musulman, ce fanatisme bouddhique peut aussi déstabiliser les relations avec les autres minorités ethniques du nord du pays, avec lesquelles le gouvernement a essayé de mettre en place des accords de coopération politique.

Plus largement, la question des Rohingyas focalise maintenant toute l’attention, non seulement à l’intérieur de la Birmanie, mais aussi dans les relations entre la Birmanie et les pays étrangers. Cela ne peut que ralentir et rendre plus difficile la transition démocratique, c’est-à-dire le désengagement progressif des militaires de l’appareil d’Etat.

rfi